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Didier BARRA ou François de NOMÉ, dits Monsù DESIDERIO (Metz, 1589 - Naples, après 1647) ou (Metz, vers 1593 - Naples, après 1623) Vue fantastique de la Piazzetta avec le départ du Bucentaure, Venise Huile sur toile A view of the Piazza San Marco, Venice, oil on canvas, by Monsù Desiderio 93 x 181 cm (36,61 x 71,26 in.) Provenance : Probablement commandé par Camillo Sanfelice en 1656, en pendant avec une vue de Naples ; Southampton Art Gallery, selon une étiquette au verso ; Chaucer Fine Arts, Londres, en 1978 ; Vente anonyme ; New York, Christie's, 12 janvier 1996, n° 37 ; Galerie Pietro Scarpa, Venise ; Acquis auprès de cette dernière en 2007 par l'actuelle propriétaire ; Collection particulière, Milan Bibliographie : Maria Rosa Nappi, 'François de Nomé e Didier Barra, l'enigma Monsù Desiderio', Milan-Rome, 1991, p. 231, n° C 9 'Enigma Monsù Desiderio. Un fantastique architectural au XVIIe siècle', cat. exp., Metz, Musée de la Cour d'Or, 2004-2005, p. 46-47, repr. Commentaire : L'étrangeté s'invite dans la contemplation de cette scène à la lumière si surprenante. Cette ambitieuse toile ne se comprend qu'à l'aide de la connaissance du corpus de l'une des plus intrigantes personnalités du XVIIe siècle : Monsù Desiderio. Ce 'Monsieur' Desiderio est en réalité un peintre à quatre mains, une personnalité bicéphale ; deux lorrains originaires de Metz : Didier Barra et François de Nomé. Tous deux, ayant quitté leur patrie en proie aux guerres incessantes, rejoignent la désirable Italie et la communauté de 6.000 compatriotes lorrains à Rome, puis Naples où l'on retrouve le premier vers 1614 et le second vers 1610. Leurs œuvres se confondent mais Barra se spécialise plus dans les architectures chaotiques où sonnent le parfum de la destruction et Nomé dans les grandes vues panoramiques. Leur peinture est baignée par une lumière au clair-obscur violent, mêlant une description précise à un sens du tragique mis en scène avec talent et grandiloquence. Ce n'est qu'au XXe siècle que ces personnalités émergent grâce aux travaux de Raffaello Causa1, Félix Slys2 et enfin Maria Rosaria Nappi3, notamment dans la brillante exposition qui fit date à Metz en 2004-20054. Le goût pour les œuvres de Monsù Desiderio que nourrissaient les Surréalistes et André Breton en tête ont aidé à cette redécouverte d'un des corpus les plus originaux de l'histoire de l'art. Dans notre toile, une des plus grandes de l'artiste et probablement l'objet d'une commande retrouvée de Camillo Sanfelice en 16565, l'atmosphère à la fois mystérieuse et inquiétante du peintre se retrouve. Le point de vue est classique mais il est traité de façon volontairement fantastique et non fantaisiste. L'architecture précise de monuments aussi célèbres que le palais des Doges, la basilique San Marco et la bibliothèque Marciana est connue avec précision et tout peintre de talent - même sans avoir séjourné dans la lagune et cela grâce aux gravures - peut retranscrire avec précision la vue de la Piazzetta. C'est un tout autre parti que la fidélité qui est retenu ici par Monsù Desiderio : comme emporté par son esprit créatif, il ajoute des dentelles de sculptures dans les ouvertures dans le palais des Doges, il orne la basilique d'un pinacle gothique plus proche de Metz que de l'Italie, il exagère la taille des 'oculi' au dernier niveau de la bibliothèque. Dans cette ambiance nocturne le campanile joue le rôle d'une torche lumineuse qui irradie la Piazzetta et les figures innombrables remplissent l'espace comme dans une fourmilière. L'esprit tortueux du peintre est bien souligné par la scène au centre : une exécution capitale qui ne pourrait bien sûr avoir lieu ni de nuit ni le jour le plus important du calendrier vénitien. Car le prétexte du tableau est bien là : il s'agit du départ du 'Bucintoro' pour le mariage de Venise et des flots ! Tout ce qui touche à Venise est un doux mélange de mythe et de réalité et la cité des Doges peut seule se permettre d'être le théâtre d'événements aussi incroyables qu'irrationnels aux yeux du reste du monde. En 1171, le pape Alexandre III, pour remercier la République et le doge Sebastiano Ziani de son intermédiation dans

paris, Frankreich